2 - Le mariage à manger.


Où la pauvre Bijou comprend ce qu'est la vraie vie, avec le vrai malheur.


La vraie vie pour Bijou.
La vraie vie pour Bijou.

Déjà, sa mère est partie rejoindre les supradjets avec les Ni dupes, Ni Surprises, un truc comme ça, et papa dit qu'elle l'a abandonnée volontairement parce qu'elle ne l'aime plus. C'est très dur. En plus, il passe beaucoup de temps sur la tête et elle doit lui parler à l'envers ou se taire la plupart du temps, elle regrette la vie d'avant où maman tenait la boulangerie, "bonjour m'sieurs-dames, ce sera tout ?" Elle était toujours souriante et ça marchait du feu de dieu, ce dieu dont elle n'avait jamais entendu parler jusqu'au jour funeste où ils ont perdu le petit frère à la naissance.

Charcuterie et boulangerie Lala.
Charcuterie et boulangerie Lala.

Ils se sont mis à débloquer grave, ils pleuraient et se disputaient tout le temps. L'horrible barbu a débarqué et papa est devenu méconnaissable, la boule à zéro, les yeux dans le vide et radotant. Il a refait la devanture, le nom du magasin qui est devenu "Lala", c'est-à-dire conforme à la religion et tout. Et comme la farine venait d'un pays Lala, qu'elle coûtait la peau du cul, comme disait papa, le chiffre d'affaire a dégringolé. Le point culminant ça a été quand il a viré maman dans l'arrière-boutique, fallait plus qu'on la voie ou seulement avec un treillis vert sur la trombine ! Jusqu'à ce stade elle n'avait rien dit parce qu'elle savait qu'il souffrait à cause du petit frère, mais là, elle a fait son sac et s’est carapatée quand Bijou était à l'école. Où la gamine n'est jamais retournée, d'ailleurs et ça lui manque presque aussi terriblement que sa mère. Parce que la Sornetschool avec le fondu de la foilala, ce n'est pas une vraie école. Il raconte des histoires horribles, incompréhensibles, pleines de vengeance, de sang et de feu. La vie comme ça, c'est n'importe naouaque. Elle n'essaie même pas de retenir un mot de ce fatras parce que plus tard, elle sera docteur pour les animaux et un point c'est tout. Les animaux, c'est plus rassurant, les livres aussi.

L'arrangement des décervelés.
L'arrangement des décervelés.
Boulim.
Boulim.

En plus, elle sent que papa mijote quelque chose avec le voisin charcutier qui s'est fait Lala itou. C'est le père du gros Mickey qu'ils appelaient Boulimickey, avec ses copains de la rue. Un garçon beaucoup plus vieux mais pas dans la tête, qui passe son temps à bouffer. Boulim, ça lui va bien. Son truc préféré, c'est la glace à la fraise. Papa lui en donne de temps en temps mais faut pas pousser, le père de Boulim est pété de tunes, même qu'il a fait ravaler la façade au moment de sa conversion chez les Ripapaoulala. Ils ne s'aimaient pas beaucoup avant, les deux petits commerçants mais aujourd'hui qu'ils passent du temps sur la tête ensemble, ça va mieux. La communion, ça s'appelle. Un truc qui craint parce que tu ne sais jamais ce qu'ils peuvent inventer comme nouvelle idiotie à tous ensemble.

 

Papa prie.
Papa prie.

Le boulanger ronge son frein car les clients se font rares, seuls les gens qui mangent Lala lui restent fidèles. Heureusement, le grand Baden Loden va lui venir en aide s'il suit bien ses consignes. La dernière est de marier sa fille le plus vite possible. Ça l'a un peu secoué, il ne savait même pas qu'elle était en âge, mais en effet, elle a ses gendarmes depuis l'été, la mère de Boulim s'est occupée des détails matériels. C'est elle qui lui a donné l'idée : unir leurs deux commerces, créer une entreprise familiale dans la vraie religion et ce sera la fin de ses ennuis, de sa solitude. Et la petite – devenue indomptable depuis l'abandon de sa salope de mère - enfin matée. Sa Bijou… il ravale une bouffée d'émotion mauvaise pour la foi et se réfugie dans la prière. "Le Ripapa est le seul Ripapa, les dubitateurs et les blasphématifs seront punis par le feu, ta femme tu la corriges quand tu veux…" psalmodie-t-il. Un client potentiel entre, voit ses pieds qui dépassent derrière le comptoir et rebrousse chemin. Trop tard pour se remettre à l'endroit, alors il se refait une maille à l'envers jusqu'à ce que son cerveau ne soit plus qu'une goyave écrasée.

L'avenir radieux de Bijou dans le mariage.
L'avenir radieux de Bijou dans le mariage.

Boulim croise Bijou et la retient par la manche.

- Toi, je vais te fourrer un…euh…polichinelle dans le tiroir, lui dit-il en bavant un peu sur sa glace fraise, chocolat, vanille.

- Ta gueule sale pervers ! Lâche-moi la grappe.

- C'est maman qui l'a dit.

- Ta mem elle débloque…

- Et ton père m'a donné une glace énorme, il a dit que si je le faisais, je pourrai en manger autant que je voudrais pour toujours. Si tu ne veux pas, j'aurai le droit de te battre. Si tu veux bien, je te raconte comment on les fait, les bébés, moi je te la mets la petite graine avec mon…

Le désespoir de Bijou. Mel et l'ouximer.
Le désespoir de Bijou. Mel et l'ouximer.

Là, Bijou sent la sincérité. Le sol lui manque. Elle va tomber, disparaître dans les égouts ou quelque chose du genre pour échapper à cette vie à jamais.

Sa mère l'a abandonnée et aujourd'hui son papounet la trahit en la livrant aux mains de ce gros dégueulasse…c'est un cauchemar, elle n'a plus qu'à mourir pour se réveiller.

- Mais je partagerai mes glaces avec toi…suggère Boulim d'une petite voix devant sa mine crayeuse.